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Christoblog

Articles avec #brady corbet

Mysterious skin

Le récent Kaboom m'amène à plonger dans la filmo d'Araki en commençant par son film le plus connu.

Mysterious skin est un film fascinant, tissé de cette étoffe dont on fait les films cultes. Il est brillant, troublant, alors qu'il s'attaque à une batterie de sujets tous plus casse-gueules les uns que les autres : l'homosexualité dans un bled perdu du Kansas, la prostitution, le viol, la pédophilie, la folie, les OVNIs.

Ce qui permet au film de tenir debout et de figurer au panthéon des années 2000, c'est la tension qu'il instaure et qu'il arrive à tenir sur la durée, entre plusieurs éléments contradictoires entre eux.

La tension explicite / implicite

Certaines scènes de sexe sont insoutenables. Hors on ne voit à aucun moment un sexe masculin. Le film est donc terriblement implicite dans ce qu'il montre, et explicite dans ce qu'il suscite chez le spectateur : Araki a compris qu'un visage qui s'empourpre, une main sur un visage, un doigt sur la langue génère un plus grand malaise qu'un pénis filmé. 

La tension hypersexué / asexué

Neil réagit à ce qu'il a vécu en se précipitant dans une course en avant vers le sexe, autodestructrice et suicidaire. Il lui faut toujours plus : de risque, d'expérience, de sensations. Tout le monde est amoureux de lui : Eric, Wendy, ses amants. Il est une sorte de trou noir qui attire et engloutit les autres. Bryan est l'inverse, il refoule son expérience et sa libido est en panne sèche. On ne peut pas opposition plus extrême, et il intéressant de constater que les deux mères renforcent cette opposition puisqu'elles reproduisent les caractéristiques de leur fils.

La tension réalisme / onirisme

Le film oscille constamment entre un vérisme psychologique et social, et des fulgurances poétiques qui nous entraînent dans un autre monde (les visions de Bryan, la pluie de céréales évidemment, la soucoupe volante, le dernier plan qui isole les deux protagonistes dans le noir, la vache mutilée, le malade...)

La tension cruauté (du propos) / suavité (de l'objet cinématographique)

Celle ci n'est sûrement pas discernable au premier abord, et pourtant elle est particulièrement évidente si par exemple on ferme les yeux : alors que beaucoup de réalisateurs auraient raconté cette histoire avec une bande-son volontairement stressante, Araki l'accompagne d'une petite musique, constamment douce et inoffensive, terriblement entêtante et soporifique à la fois. De même il fait évoluer ses personnages dans des décors aux nuances pastels, particulièrement cruelles par contraste. Dans la scène hallucinante des feux d'artifice tirés de la bouche de son prisonnier, Neil a un sourire d'ange.

La tension anticipation (ce qu'on devine) / réalisation (ce qui nous est révélé)

C'est sûrement là que réside l'aspect le plus étrange du talent d'Araki. Contrairement aux films qui manient le classique retournement de situation de dernière minute, Mysterious skin parvient à nous faire percevoir à tout moment ce qui va advenir ensuite. Mais cette perception est toujours incomplète, confuse, et l'on craint (avec raison) en permanence que la suite soit plus terrible que ce qu'on imagine. Cette anticipation inquiète et fiévreuse est le moteur principal du film.

Il serait sacrilège de dire à propos de Mysterious skin "je l'aime" ou "je ne l'aime pas", il fait partie de ces oeuvres qui ne vous laissent guère de choix, qui vous prennent contre votre gré et vous emmènent loin, vous laissant au final pantelant, désarçonné et amoureux du cinéma comme jamais.

 

4e

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